De quoi parlent nos élus fédéraux ?
De quoi parlent les chefs ?
Justin Trudeau a fait beaucoup de place aux enjeux liés au dernier budget libéral, datant de mars : mesures fiscales pour les aînés, financement du secteur laitier ainsi qu’incitatifs à l’achat de logements et de véhicules électriques. Mais l’environnement était au cœur de beaucoup de ses interventions. Et à l’opposé de son adversaire conservateur, le premier ministre n’a guère parlé de « SNC-Lavalin », qu’on retrouve dans seulement 2,39 % de toutes ses interventions.
Environnement, taxe carbone : 11,14 %
Économie et finances : 10,85 %
Aides sociales, aînés, jeunesse : 5,57 %
Justice, minorités visibles : 4,71 %
ALENA : 3,94 %
Sans surprise, le chef conservateur a utilisé le tiers de ses interventions pour parler de SNC-Lavalin. Il a largement utilisé les termes « scandale » et « criminel » pour parler de cette affaire. Mais la taxe sur le carbone et les pipelines ont pris aussi beaucoup de place dans ses interventions. Au début de l’année 2019, il a haussé le ton pour dénoncer la taxe carbone implantée par les libéraux dans quatre provinces. Le chef de l’opposition a aussi beaucoup parlé de l’affaire Mark Norman, ce vice-amiral de l’armée canadienne accusé d’avoir laissé filtrer des informations du cabinet fédéral.
SNC-Lavalin : 29,52 %
Environnement, taxe carbone : 9,94 %
Ressources énergétiques, pipelines : 8,13 %
Affaire Mark Norman : 7,83 %
Affaire Chine : 5,42 %
Tout comme son homologue conservateur, le chef du NPD a talonné les libéraux sur SNC-Lavalin et l’affaire Mark Norman. Jagmeet Singh a aussi consacré beaucoup de son temps de parole à l’assurance maladie. Le NPD souhaite implanter un système d’assurance médicaments nationale et universelle d’ici 2020 et veut que les soins dentaires, auditifs, oculaires et de santé mentale soient couverts par l’État. Mais l’environnement demeure en première place dans son discours.
Environnement, taxe carbone : 19,05 %
SNC-Lavalin : 13,49 %
Assurance maladie et médicaments : 11,11 %
Affaire Mark Norman : 6,35 %
ALENA : 5,56 %
Rien d’étonnant à ce que la première préoccupation de cette cheffe soit l’environnement. Ses interventions concernent l’accord de Paris, la fin de la captivité des baleines, la réduction de l’utilisation des combustibles fossiles, le maintien de la température moyenne de la Terre à 1,5 °C au-dessus de l’ère préindustrielle, entre autres. Elle prend beaucoup de place dans les débats consacrés à l’environnement, étant présente dans 4,9 % de toutes les interventions.
Environnement, taxe carbone : 26,74 %
Code criminel, motions et textes de loi : 10,86 %
Ressources énergétiques, pipelines : 5,01 %
Immigration, sécurité, religion : 3,06 %
Système correctionnel et carcéral : 2,79 %
Changements de priorités
Les priorités politiques changent avec les années. Plusieurs partis n’ont plus les préoccupations qu’ils avaient au lendemain des élections de 2015. Voici les thèmes qui gagnent et qui perdent de la vitesse.
À la hausse
C’est le thème qui a le plus évolué en quatre ans. Presque tous les partis ont doublé leur nombre d’interventions à ce sujet. La loi sur les océans, la taxe carbone, l’accord de Paris, la loi pour améliorer l’évaluation environnementale (C-69) : les enjeux discutés en Chambre étaient nombreux.
Les élus ont beaucoup discuté de ce thème cette année. Renforcement de la surveillance du système correctionnel, modernisation du système de justice, loi sur le système pénal pour les adolescents étaient parmi les sujets de discussion.
Ce thème a gagné en importance en quatre ans. En 2019, la publication du rapport définitif de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, de même que la somme de 4,5 milliards prévue pour la réconciliation dans le budget fédéral 2019, ont alimenté les discussions.
À la baisse
Après la signature de l’entente Canada–États-Unis-Mexique en septembre 2018 pour remplacer l’ALENA, ce thème a chuté lors des discussions en Chambre.
Les partis de l’opposition ont perdu de l’ardeur dans leurs pressions sur le gouvernement pour réformer le mode de scrutin. Cette promesse avait été faite par Justin Trudeau pendant sa campagne électorale de 2015, mais il y a renoncé en janvier 2017.
PCC
PLC
NPD
BQ
Verts
La dernière année en quelques débats
Septembre
Un rapport de l’ombudsman Guy Parent critique durement le traitement des anciens combattants par Ottawa : le temps d’attente pour les vétérans avant de recevoir de l’aide ou des prestations est beaucoup trop long.
Octobre
Le 23 octobre, le gouvernement Trudeau annonce la mise en place d’une taxe carbone sur les émissions de gaz à effet de serre dans quatre provinces : l’Ontario, la Saskatchewan, le Manitoba et le Nouveau-Brunswick. Le gouvernement souhaite réduire les GES de 50 à 60 millions de tonnes d’ici quatre ans. L’annonce crée une forte réaction chez les conservateurs.
Novembre
Après un mois de grève chez Postes Canada, le gouvernement vote, le 22 novembre, une loi spéciale forçant le retour au travail. La grève prend fin le 27 novembre. Les négociations entre le gouvernement et les postiers ont nourri les débats à la Chambre des communes.
Décembre
Ce mois est marqué par un débat en Chambre sur la crise des opioïdes. L’Agence de la santé publique annonce le 12 décembre que 2000 Canadiens sont morts dans les six premiers mois de 2018 en raison d’une surdose d’opioïdes.
Janvier
Le gouvernement s’interroge sur les moyens à prendre pour rendre le logement plus accessible au pays. Le NPD propose des mesures pour favoriser la construction de 500 000 logements dans les 10 prochaines années. Les conservateurs en profitent pour attaquer la taxe sur le carbone, disant que cette mesure rend les logements moins abordables pour les Canadiens.
Février
Le scandale éclate le 7 février avec la publication d’un reportage du Globe and Mail affirmant que l’entourage du premier ministre a fait pression sur Jody Wilson-Raybould pour qu’une entente à l’amiable soit négociée avec SNC-Lavalin dans une histoire de corruption et de fraude. Cinq jours plus tard, Mme Wilson-Raybould quitte le Cabinet.
Mars
Au début du mois, la présidente du Conseil du Trésor, Jane Philpott, démissionne du Cabinet.
Le scandale SNC-Lavalin commence un peu à s’estomper. Au début du mois, Justin Trudeau met Mme Wilson-Raybould et Mme Philpott à la porte de son caucus.
Les élus discutent largement de l’amendement au projet de loi C-69 afin de resserrer les processus d’évaluation environnementale. Au Québec, le ministre Benoit Charette avait affirmé que la modification de cette loi dédoublerait le travail déjà accompli au Québec par le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE).
Le débat concernant le projet de loi C-69 se poursuit. Ottawa annonce aussi vouloir mettre fin au plastique à usage unique d’ici 2021.
Les plus volubiles
Une vingtaine d’élus ont réalisé depuis un an 25 % des interventions à la Chambre des communes. Qui sont les plus bavards d’entre eux ? Justin Trudeau et Elizabeth May sont sur la liste, mais pas Andrew Scheer…
Le temps de parole des chefs
Le chef libéral est de loin celui qui a le plus pris la parole. En plus d’intervenir dans différents dossiers, le premier ministre répond à toutes les questions posées à son parti le mercredi.
Pendant la période de questions, chaque parti a droit à son tour de parole. Comme Elizabeth May était la seule membre de son parti jusqu’en mai dernier, elle est souvent intervenue.
Le chef conservateur partage la scène avec sa vice-chef Lisa Raitt, c’est entre autres pourquoi il figure en 52e place dans le compte des mots.
Jagmeet Singh 133e place avec 18 657 mots
Jagmeet Singh siège à la Chambre des communes depuis peu de temps. Il a fait son entrée le 25 février 2019.
Maxime Bernier 331e place avec 1547 mots
Depuis la création du Parti populaire en septembre 2018, Maxime Bernier n’est intervenu que 18 fois en Chambre.
gabriel Sainte-Marie 83e place avec 27 182 mots
Le chef du Bloc, Yves-François Blanchet, n’est pas élu. Voici donc le député de ce parti qui a le plus parlé dans la dernière année.
Le trio de tête
Élu pour la première fois en 2010 sous la bannière libérale, après avoir été député provincial au Manitoba. Il est celui qui a le plus parlé au cours de la dernière année puisqu’il est le secrétaire parlementaire de la leader du gouvernement. Il prend souvent la parole au nom du gouvernement pour déposer des documents ou pour fournir des précisions sur le déroulement des séances.
Ce député conservateur est bien connu pour ses discours-fleuves. « Je vais continuer de parler à la Chambre de communes jusqu’à ce que Justin Trudeau mette fin au camouflage sur l’enjeu SNC-Lavalin », avait-il expliqué en avril lors d’un discours qui avait monopolisé la période réservée aux discours après le dépôt du budget. Député fédéral depuis 2004, il a été ministre des Institutions démocratiques de 2013 à 2015 et ministre de la Famille en 2015.
Élu pour la première fois en 2015 avec les conservateurs, il est l’un des plus jeunes parlementaires de la Chambre (32 ans). Il est porte-parole de son parti en matière d’affaires étrangères et pose beaucoup de questions.
La parole aux femmes
De manière absolue, les femmes parlent beaucoup moins que les hommes à la Chambre des communes. Pendant la dernière année, elles ont dit 2,6 fois moins de mots que leurs collègues masculins. Cependant, elles sont aussi 2,7 fois moins présentes dans les partis (91 femmes et 243 hommes). Les conservateurs, par exemple, n’ont que 19 % d’élus féminins.
Toutefois, proportionnellement à leur nombre, les femmes prennent la parole autant que les hommes à la Chambre des communes. Par séance, une femme dit en moyenne 184,1 mots et un homme, 186,1.
Dans certains partis, cependant, les élues parlent moins que leurs collègues masculins. Chez les libéraux, les femmes disent en moyenne 113,6 mots par séance, contre 147 pour les hommes. Au NPD, elles prononcent en moyenne 279,5 mots par séance, contre 345 pour les hommes.
L’environnement est un thème cher aux élues. En moyenne, elles en parlent deux fois plus que ne le font leurs collègues masculins. En décembre, la commémoration de la tuerie de Polytechnique, l’adoption du projet de loi C-51 améliorant la prise en charge des victimes d’agression sexuelle, ainsi que la journée contre la violence faite aux femmes ont généré beaucoup de discours de la part d’élus féminins.
Nombre de mots prononcés en moyenne par séance
Femmes : 113,6
Hommes : 147,0
PCC
Femmes : 272,7
Hommes : 225,0
NPD
Femmes :279,5
Hommes : 345,0
BQ
Femmes :112,8
Hommes : 73,2
Total
Femmes : 184,1
Hommes : 186,1
Méthodologie
À l’aide d’un programme informatique, nous avons collecté toutes les interventions d’élus fédéraux du 17 septembre 2018 au 21 juin 2019. Les interventions du président de la Chambre ont été écartées puisqu’il a le devoir de rester impartial. Le calcul du nombre de mots prononcés par les femmes a été réalisé en créant manuellement une liste des élus féminins et masculins. Cette liste inclut aussi les candidats qui ont quitté leurs fonctions entre septembre 2018 et août 2019. L'évolution des sujets traités par les partis a été comptabilisée en utilisant un algorithme qui permet de déterminer la place que prend un thème proportionnellement aux autres pour une année donnée. Nous avons choisi, pour chaque parti, les thèmes dont la place dans les débats a le plus augmenté ou diminué (en points de pourcentage et non de manière absolue). Il est important de spécifier que pour certaines années, la diversité de thèmes était moins grande, ce qui donnait de l'importance à certains sujets. Les données ont été analysées par Pierre Meslin, du département de science de données de La Presse.